Matteo Ricci, le sage venu de l’OccidentSURLERING.COM - THE BOOKMAKER - par Pierre Schneider - le 16/05/2010 - 1 réactions -
![]() Contrairement à la vision romantique d'un christianisme missionnaire qui ne rêverait que de martyres, d'un christianisme suicidaire en somme, les vingt années de séjour chinois de Ricci montrent qu'une mission ad gentes est avant tout une entreprise au sens moderne, une affaire de management. On se donne des objectifs, des moyens, une équipe, une stratégie, une "gouvernance" c'est-à-dire une vision particulière de la manière de diriger l'activité de l'entreprise, et même un "reporting" car il y a des camps de base jésuites, à Macao notamment et il convient de les tenir au courant des progrès de la mission. L'objectif, c'est de pouvoir s'installer en Chine, de disposer de la liberté de culte et de rencontrer l'Empereur. La stratégie consiste à transposer dans le contexte chinois l'essence de la vie religieuse chrétienne : les missionnaires s'habilleront de gris, vivront pauvrement et dans le même temps dirigeront leur apostolat vers les classes lettrées. Les difficultés sont nombreuses dans un pays qui, pour faire simple, n'a aucunement besoin du christianisme et n'a même pas les mots pour exprimer son credo. Censée évoquer les bonzes bouddhistes, l'apparence modeste des missionnaires sera un frein : la pauvreté évangélique et la simplicité ne sont pas des valeurs en Chine et la réputation détestable des véritables bonzes nuira à l'image des missionnaires. Le concept même de Dieu devra être défini de manière approchée et sera l'objet d'une querelle ultérieure. Et les conversions ne viendront pas, ou peu! Ricci est un homme de foi et ne perd pas confiance. "On ne canonise pas la sottise", disait un mien confesseur. Ricci "repositionne" alors sa Mission et décide de se faire l'égal des lettrés qu'il souhaite fréquenter. L'occidental devient alors un Chinois parmi les Chinois, lettré parmi les lettrés, reçu et accepté dans des banquets où le repas en commun est un prétexte au débat d'idées. De faveurs en défaveurs et réciproquement, à travers des subtilités politiques qu'il ne comprenait que partiellement, cette démarche ira jusqu'à faire pénétrer Ricci dans le palais de l'Empereur qu'il ne rencontrera pourtant jamais. Il sema pourtant le bien là où il passait et, outre la naissance de la première communauté chrétienne de Chine, inventa la sinologie, laissa des ouvrages chinois de bonne facture littéraire, une mappemonde du monde connu, un dictionnaire et des savoirs astronomiques et horlogers inconnus de l'Empire du Milieu. Il faut dire que le personnage était doué d'une intelligence exceptionnelle qui le favorisait bien souvent. Le P. Ricci nous intéresse toujours aujourd'hui en raison non seulement de son approche rationnelle de la mission mais de ce que l'on a appelé par la suite la "querelle des rites" et que l'on nommerait aujourd'hui l'inculturation. C'est encore une histoire de principes et de stratégies. Lorsqu'une religion veut se faire une place en un endroit où il n'y en a pas, dans quelle mesure doit-elle s'accommoder de rites ou de coutumes locales auxquelles les gens sont attachés? C'est ainsi qu'après avoir déterminé qu'elles ne représentaient pas un paganisme latent, les prières confucéennes pour les morts avaient été tolérés dans la spiritualité catholique en Chine. Mais l'histoire de l'Eglise est pleine de dénonciations, d'arbitraire et de jalousies et les meilleurs n'y sont pas épargnés. Après un siècle de tergiversations et de décrets contradictoires, Rome interdisait le "rite chinois" au XVIIIème siècle, causant de fait l'extinction de l'Eglise fondée par Ricci dans un contexte de persécutions. En un chapitre de grand souffle et de grands raccourcis, Vincent Cronin dépeint le naufrage du pays tout entier jusque dans le communisme maoïste, comme s'il était la conséquence de ces disputationes. En d'autres termes, l'histoire de l'héritage du P. Ricci est celui des priorités de l'évangélisation : à quel prix accepte-t-on de gagner des âmes à Dieu? La sueur et le martyre des missionnaires n'avait jamais gêné quiconque ; le fait de capitaliser sur ce qu'il y a de bon dans une civilisation indigène (mais d'étranger au christianisme) semble autrement plus problématique. Nous sommes en 1750, dans une Eglise sur la défense, attaquée philosophiquement, habituée à avoir raison et à régner sur les esprits. La validation de rites confucéens n'arrivait pas au bon moment ; le fait qu'elle était défendue par des jésuites n'arrangeait pas les choses. La question de l'inculturation reste pourtant actuelle et le restera tant que l'Eglise se voudra missionnaire. Suffit-il, pour convertir, de s'installer, d'entonner un "introibo ad altare Dei", le Catéchisme et le reste, pour avoir fait son métier de missionnaire, pour que les âmes pleuvent dans les filets de St Pierre? Ou faut-il aller plus loin, détecter et promouvoir ces affleurements de "religion naturelle" qui, s'ils ne sont pas le christianisme, y sont compatibles et y préparent? En des mots plus vulgaires, les chants africains dégradent-ils le Missel Romain? Et les transes vaudoues? Et les danses basques autour de l'autel? Le rite romain (traditionnel) est pourtant lui-même un hybride dont les différentes composantes remontent à des lieux et des époques suffisamment variés pour soutenir la thèse de la fécondité de l'inculturation. Antiquité hébraïque (les Psaumes, les Prophètes), premier siècle de notre ère en Palestine (le Nouveau Testament), cryptes des catacombes romaines (le Canon Romain, les plus anciens offices de Pâques, Vigile, Vendredi Saint et Ténèbres), cross-over avec les foyers urbains de Gaule abreuvés de spiritualité grecque (prières de l'Offertoire, nombreuses préfaces, Rogations). La périphérie du rite, ce qui ne tient pas dans le Missel ou le Bréviaire, est également inculturée : y aurait-il eu un Palestrina si le christianisme n'avait pas à l'époque été italien et lassé du plain chant? En Europe, en France, le véritable combat se livre aujourd'hui à la périphérie du rite, celle qui n'est pas dans les livres officiels, celle qui enveloppe les textes immuables et capitaux, celle qui est aussi la plus visible. Expression maladroite et touchante d'un génie local, les spécificités tolérées ou encouragées par l'Eglise en marge de la liturgie officielle risquent d'être balayées - et cela peut vouloir dire la consécration montfortaine à la Vierge, les Noëls de Daquin aussi bien que les chants de la Messe, chers amis. Après avoir joué sur ce terrain la carte du centralisme à outrance en promouvant de toutes ses forces au début du XXème siècle un chant grégorien recomposé par les moines de Solesmes, l'Eglise joue quelques décennies plus tard la grande absente quand il s'agit d'orienter la création artistique vers l'unum necessarium. Faute d'une direction claire, les paroisses sont ainsi devenues sujettes à une série de modes où l'insipide le dispute à l'insignifiant. Si l'inculturation est l'art de faciliter la transition entre l'ethos d'un peuple et le corpus immuable de la religion et de la liturgie, il faut bien reconnaître que chez nous, il n'en reste pratiquement que de l'eau de boudin. Pierre Schneider Matteo Ricci, Le sage venu de l’Occident, Albin Michel, 371 pages, 15 €. Toutes les réactions (1)1. 17/05/2010 11:50 - Nach Mavidou
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